5 Mars
Ma mère me réveille en chuchotant :
«Chérie ? Il y a machin qui dort dans ma chambre alors n'y va pas, d'accord ? T'inquiète pas, il dort et ne se réveillera pas avant longtemps. Tu te lèves hein ? Tu sèches pas, hein ? Et tu as rendez-vous chez Ophtalmo à 9h30, ne sois pas en retard hein ? Bisou. »
J'ai grommelé pour répondre à toutes ces questions.
Ne me faissant pas confiance elle a pris soin de poser le téléphone près de mon oreiller avant de partir.
Quand j'ai entendu la porte claquer, je me suis mise sur le dos, les bras mous, les yeux tournés vers le ciel. Je me suis noyée quelque instant dans le son, suffoquée avec délectation dans les notes divines de Debussy.
Dès les premières secondes, où j'ai entendu Clair de Lune, jamais je ne m'en suis lassé.
C'était il y a bien longtemps déjà.
Je n'aime pas trop ces moments, où je suis dans l'obligation de constater à quel point le sablier s'est vidé.
Une fois levé, je me prépare comme d'habitude avec amour mon café avec une gorgée de lait du matin. Je bois à courtes gorgées bloquées par la trop forte chaleur de ma boisson mais sans sourire aux lèvres. Le couloir qui empeste le tabac me persuade que Machin est bien levé et attend caché dans la chambre de ma mère que je m'en aille.
Ça m'énerve que ma mère qui m'a confié mainte et mainte fois qu'elle déteste au plus au point cette odeur chez elle. Pourquoi le supporte-elle juste pour "Lui" ?!
Au moment de partir, j'ai vu mon chat qui avait passé toute la nuit dehors gratter à la fenêtre. Je lui ouvre et la prends dans mes bras. Même si la nuit fut froide et le matin glacer, mon chat elle était chaude.
«Ma chaleur.» Comme j'aime l'appeler.
Je suis finalement un peu tard, dans la rue j'imaginais, Machin sortant la tête discrètement vérifiant bien qu'il n'y est plus personne pour s'emparer des lieux.
Chez mon Ophtalmo, le test de vision n'a pas révélé de baisse, et c'était bien la première fois. A croire que ma vue s'est enfin stabilisé.
Mon Ophtalmo m'a proposé des lentilles pour la journée, j'ai acquiescé en prenant compte qu'ensuite que c'est lui qui me les poserait.
J'ai d'abord pensé à faire marche arrière mais je me suis dit que ce serait mal polie. Quelqu'un avec une plus forte personnalité que moi aurait osé.
«Ne bouge pas.» C'est simple trois mots suffissent à faire trembler des centaines de gens.
Il m'a bloqué la tête, chopé mes paupières avec deux doigts et a mis la lentille avec énormément de facilité.
Alors que je peux passer une demie heure à me battre avec ce petit bout de plastic jusqu'à ce que mon œil vire au rouge, lui dès la première pause c'est parfait. On reconnaît les pro.
La route entre mon lycée et le métro est en travaux et toute cabosser, mais il en ai de même entre le métro et chez moi.
La chaussée occupée, je marche au milieu de la route. Somnolente mais pas folle pour autant je me retournais régulièrement pour vérifier si aucune voiture n'était sur mes talons.
Je ne veux pas aller en sport, surtout pour seulement cinq minutes. Je suis allée m'installer par terre dans le couloir en face de la salle de math.
J'ai commencé ce matin même un nouvel Amelie Notomb, c'est fou l'amour que j'ai pour ces livres. Celui qui est sur mes genoux est "Une forme de vie".J'aime, tout simplement j'aime ces livres et j'aime celui-ci !
Les premières filles de ma classe arrive, Pepito et sa copine qui me rebat les oreilles avec ces Ex et les mecs qui la coursent. Je ne lui ai jamais donné de nom par « la fille vulgaire, mais c'est nul, il faut autre chose. "Marie" lui ira bien. Pourquoi Marie ? Son nom comme la miens en est une variance. Et l'expression "Marie-couche-toi-là" lui va bien.
Comme a leurs habitudes, elles ne passent à côté de la question qui les obsèdent :
«-T'as un copain ? »
Je pourrais facilement faire un top 10 des questions qui, à la fois m'énerve et qui reviennent tout le temps.
Bien que je ne leur ai pas répondu, elles se sont satisfaites avec les nouvelles arrivantes.
Math :
Monkey arrive, « Coucou♡ », je lui envoie un regard non partager mais ne le vois même pas, sa faible attention s'est déjà détournée vers quelque chose d'autre.
Si je lui avais envoyé un sourire ça m'aurait énervée mais qu'elle ne voit pas l'absence de sourire m'énerve encore plus.
Je m'énerve peut-être trop. Pour rien.
La prof nous donne des exercices à faire sur l'ordinateur, privilégiée je m'assois au bureau de la prof. De toute façon, elle n'a pas le temps de s'asseoir puisqu'elle court dans tous les sens pour satisfaire les exigences enfantines de mes camarades. Avec le bruit, les cancans, les jacassements, je n'arrive pas à me concentrer sur ce petit exercice.
Je me crée alors une petite bulle avec mes écouteurs. J'ai depuis mon réveil une envie folle d'écouter du piano.
Disneyfan qui se languit se lève et vient vers moi, pour ne rien faire de plus intelligent que de me tripoter les cheveux en répétant « Ça va ? Ça va ? Ça va ? »
Je tape du poing sur la table, ce qui la fait s'enfuir en gloussant.
Bon sang elle a quel âge ?!
Je soupire en regardant ma montre, le temps est si long.
Vers la fin de l'heure, la prof m'a dit ces mots :
« Tu ne dois pas te couper des autres comme ça, ils n'ont peut-être rien à t'apporter mais toi tu peux leur apporter beaucoup. »
J'ai haussé les épaules l'air indifférente, mais je n'en ai pas cogité pour autant.
J'ai déjà tenté le coup, mais quand j'explique fièrement le pourquoi du comment tout rentre dans le crâne, mais ressort aussitôt. A quoi bon parler à des murs ?
Comment font les professeurs pour supporter ça ? C'est si frustrant...
Cantine :
J'ai pris deux morceaux de pain et suis partie. J'ai été à la fois contente et déçue que personne ne s'en préoccupe.
Un mélange de « On en a plus rien à foutre de moi ? » et de
« Ouf elles me foutent la paix ».
Je me trouve bien égoïste.
PSE :
Au fond de la classe, là non plus je n'existe pas. Je profite même de cette invisibilité pour écouter la radio à la recherche de son de Piano.
Interprétation : Thomas Labé
Clair de lune, Claude Debussy
Si tu te fais trop invisible, on va finir par te marcher dessus ! Risqué !